samedi 8 juin 2013

Daran - L'Homme Dont les Bras sont des Branches

Daran - L'Homme Dont les Bras sont des Branches (2012)
Il aura fallu attendre 6 longues années pour enfin avoir dans les mains le nouvel album de Jean-Jacques Daran, intitulé L'Homme Dont les Bras sont des Branches. Six ans depuis le fantastique Petit Peuple du Bitume, cette perle dans laquelle Daran s'est attaché à rendre hommage à la musique qui l'a nourri: floydien en diable, très musical et très rock 70s, ce concept album somptueux en a pourtant dérouté plus d'un, y compris chez les admirateurs de l'artiste. Salué par la presse, l'album n'a pas connu le succès public, en France du moins. Il est vrai que les oreilles françaises sont loin d'être rock...
Ceci dit, c'est un peu son lot, à Daran: succès, échec, reconnaissance publique, oubli. Le roi des montagnes russes. Le fait sans doute de son authenticité, de sa volonté de ne jamais verser dans la facilité ni dans le compromis: "Quand tu fabriques de la musique, tu fais ce qui te plait le plus, après si ça plait aux autres, c’est la cerise sur le gâteau. Je vivrai toujours mieux avec un album que j’adore qui ne marche pas, plutôt qu’avec un album qui cartonne sur lequel j’ai fait plein de compromis."(*)

En 2010, il quitte la Bretagne pour partir s'installer de l'autre côté de l'Atlantique, au Québec. Histoire de se remettre en question, de ne pas se laisser aller à la facilité, de se mettre un "coup de pied au cul", comme il le dit lui-même. En 2011, Kad Merad, qui réalise son premier film ("Monsieur Papa") lui demande de réaliser la bande originale... en anglais ! Pour la petite histoire, celle-ci sera enregistrée à New-York...
Après sa sortie en 2012 au Canada, voici donc "l'album vert" dans notre platine CD. Alors !?..
Alors, retour aux chansons "classiques", exit le concept-album et les longues plages musicales alternant avec le chant. Toujours accompagné du fidèle Pierre-Yves Lebert pour la majorité des textes, Daran revient au format court et au couplet-refrain. 
Sa spécificité, sa marque de fabrique, ont toujours été sa façon décalée de nous raconter ses angoisses, ses craintes, son désenchantement ou sa hargne. On n'a jamais dansé la farandole ni fait tourner les serviettes sur du Daran. C'est plus introspectif, plus intérieur, plus intime. Plus profond. Sa façon de chanter l'amour, la vie, la mort, les relations humaines qui se refroidissent et se déchirent, cette déshumanisation de la société, le chacun pour soi, l'individualisme exacerbé qui se généralise, les laisser-pour-compte, ceux qui décrochent, qui n'arrivent plus à suivre, mais aussi ces dérives autoritaristes, ces pertes de libertés individuelles et collectives, ces intrusions dans nos vies privées de ces caméras de surveillances de plus en plus présentes et qui viennent nous sonder au plus profond de nous-même... tous ces thèmes qui lui sont chers, si sombres, si actuels, et dont il est un des rares à réussir à exprimer en musique tout en gardant ce détachement et ce sens du second degré si particulier qui le caractérise. Daran nous parle de notre vie quotidienne, de nos soucis mais aussi de nos espoirs,  nos rêves. Tel ce réceptionniste d'hôtel, "tout seul comme un con" derrière son comptoir qui ne pense qu'à cette cliente inaccessible, cette illumination qu'il n'atteindra jamais, tel cet homme noyé parmi d'autres "sur les quais" et qui se jure de ne pas rater la correspondance avec celle qu'il aime, ou ce dernier qui ne sent plus au niveau, harcelé par la machine,  qui décroche parce que "les temps sont durs pour les tendres", Daran conserve cette capacité à nous parler de notre quotidien de façon décalée, de biais. On se sent concerné, interpellé, parce que finalement, oui, on ressent les mêmes choses, tout ceci reste très proche de ce qu'on vit au jour le jour.
Musicalement, c'est toujours aussi solide. Le ton s'est adouci depuis Huit Barré, les guitares moins électriques. Mais les arrangements et la production restent d'une qualité supérieure à la moyenne. Pas de bidouillages électroniques, ni d'effets de styles encombrants aussi bien qu'inutiles. C'est direct et pur. Nickel.
Pour finir, il reste encore et toujours la voix. Ce chant en place, intact, modulé, alternant colère et émotion, rage et tristesse, désespoir et illusion. Daran possède une des plus belles voix du rock, il le confirme une fois de plus sur cet album. Foutez-moi une fois pour toute la paix avec ces chanteurs ou chanteuses, de rock, de prog ou de variété, qui s'écoutent plus qu'ils ne chantent, qui pleurnichent plus qu'ils ne versent dans l'émotion ou qui bêlent plus qu'ils ne s'expriment.... Ces chanteurs-(-euses) qui massacrent leurs textes parce qu'ils gueulent trop, parce qu'aujourd'hui chanter c'est gueuler, qui se font des noeuds aux cordes vocales à force de les tortiller dans tous les sens, quand ils ne se font pas rectifier la voix par la magie d'Auto-Tune. Tous ceux-là je vous les laisse. Ils n'ont de "chanteur" que le nom, et encore...

Merci. Merci Daran de nous délivrer au compte-goutte ces perles authentiques, à la beauté inaltérable. Merci de nous filer sans aucune régularité ces claques musicales et auditives, à nous les accros d'espoir, de désillusion, de colère et d'amour. Merci.

5/5: *****

J-Yves




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